Chapitre 1

Chapitre 1: Les origines de la crise présidentielle de 1924.

La crise présidentielle de 1924 trouve son origine dans deux éléments majeurs. Cette crise fut favorisée en premier lieu par la personnalité controversée du président Millerand (Section1) et déclenchée par la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives de 1924 (Section 2).

Section 1 : Une crise favorisée par la personne du Président de la République : Alexandre Millerand.

Alexandre Millerand fut un homme politique singulier. Il eut un parcours politique atypique (Paragraphe 1), et sa pratique de la fonction présidentielle fut très personnelle (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Un parcours politique atypique.


Passant du socialisme réformisme au Bloc national, M. Millerand eu une vie parlementaire et ministérielle agitée.

Du socialisme réformiste au Bloc National.

Né à Paris le 10 février 1859, Alexandre Millerand, après des études de droit, commence sa carrière d'avocat en droit social à 23 ans, en s'inscrivant au barreau de Paris. Aux élections municipales de 1884, les premières à se dérouler sous l'empire de la loi Ferry du 5 avril 1884 sur la commune, Alexandre Millerand est élu dans le quartier des Bassins à Passy. C'est là que commence sa carrière politique, où il sera chargé principalement des questions sociales et de l'enseignement. Son passage à la commune de Passy sera relativement bref, puisqu'il quitte son poste en décembre 1885, après son élection à la Chambres des députés dans le département de la Seine.

Arrivé au Palais Bourbon, Alexandre Millerand siège avec les radicaux puis se rapproche du groupe socialiste. Dans son ouvrage Alexandre Millerand (1859-1943) paru en 1949, Raoul Persil, qui sera le collaborateur de Millerand durant de nombreuses années, nous explique les idées qui guideront Millerand durant toute sa carrière politique : « Imprégné des idées sociales, il voyait dans le groupe socialiste démocratique un parti animé de l'esprit de réforme qui, sans négliger la question laïque avait une vue plus exacte des transformations qui s'opérait dans le monde du travail. [...] Il entendait y garder sa personnalité qui opposait en politique intérieure l'évolution à la révolution, et à l'extérieure l'esprit nationale aux utopies dangereuses »1. Cette analyse nous éclaire sur la particularité de la pensée de Millerand. En effet, celui-ci, bien que très imprégné de la défense des valeurs sociales et des travailleurs, ne rejoint pas la doctrine, majoritaire à l'époque, du socialisme révolutionnaire en ce qu'il refuse toute action violente pour l'accès au progrès social. Durant toute sa carrière politique, il ne va cesser de rejeter ce courant révolutionnaire du socialisme, prônant a contrario la participation aux institutions dans le but de réformer le système de l'intérieur, et non sa destruction de l'extérieur. Autre point de divergence avec la pensée socialiste dominante, Alexandre Millerand prône un patriotisme national, le destin des travailleurs français ne pouvant être amélioré que par l'Etat français, et non par une quelconque alliance internationale de travailleurs sans réel impact pratique immédiat. Le socialisme de Millerand pourrait être qualifié de socialisme évolutionniste, dans la mesure où il s'oppose à la révolution socialiste comme voie du changement, de socialisme réformiste, dans la mesure où la participation aux institutions doit permettre l'amélioration de la condition des travailleurs et de socialisme pragmatique, dans la mesure où il rejette toutes les utopies socialistes, de lutte des classes, de dictature du prolétariat précédent l'âge d'or de la fin des classes.

Dans son discours de Saint-Mandé prononcé le 30 mai 1896 lors du banquet réunissant les municipalités socialistes, Millerand réaffirme sa position : « Ce n'est point d'animosité en révolte, mais de la majorité consciente que nous pouvons tenir la transformation sociale. Recourir à la force, et pour qui, et contre qui ? Républicain avant tout, nous ne nourrissons point l'idée folle de faire appel au prestige illusoire d'un prétendant ou au sabre d'un dictateur pour faire triompher nos doctrines »2. Millerand ici oppose la chimère révolutionnaire, dont le risque ultime est de voir ses idées, toutes nobles soient-elles, accaparées et détournées au profit d'un seul homme, à la raison républicaine, qui doit permettre selon lui, par l'adhésion du plus grand nombre à ses idées, d'opérer le réel changement attendu en matière sociale.

Cette position, originale dans un mouvement prônant la révolution prolétarienne, sera à l'origine du premier « cas Millerand ». En 1899, Alexandre Millerand est pressenti pour entrer dans un ministère au portefeuille du Commerce et de l'Industrie. La question se pose alors au sein des socialistes : l'un des leurs peut-il se lier à un gouvernement bourgeois sans pour autant renier sa famille politique ? Raoul Persil, témoin privilégié, rapportera qu'à ce moment, « une discussion s'engage entre partisans et adversaires de l'entrée d'un socialiste dans un ministère bourgeois ». 3 Le « cas Millerand » est discuté au Congrès socialiste du Gymnase Japy à Paris, en décembre 1899. Les deux camps, partisans de l'entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau et opposants à cette participation, s'affrontent en la personne de Jean Jaurès pour les premiers et de Jules Guesde pour les seconds. Jaurès affirme qu'en attendant la fin prochaine du régime capitaliste, honni des socialistes, il faut préparer les réformes nécessaires à cette fin et la participation à un ministère bourgeois en est un passage obligé. C'est pour lui un mal pour un bien. Et cette proposition de participation doit être comprise comme la reconnaissance de la valeur des hommes politiques socialistes. Au contraire, Jules Guesde voit dans cette participation un moyen utilisé par la classe dirigeante pour se protéger des foudres révolutionnaires. De plus cette participation serait une trahison à l'union internationale des ouvriers, dans la mesure où, en devenant homme de gouvernement, Millerand participerait à une politique nationale qui pourrait être contraire à l'intérêt ouvrier pris dans sa globalité internationale. Les débats dureront quatre jours et aboutiront, selon Jean-Jacques Chevallier, à un compromis paradoxal, du « type remarquable de la motion nègre-blanc de congrès politique ».4 En effet, d'un côté sera votée une motion de principe suivant laquelle « La lutte des classes interdit à un socialiste l'entrée dans un gouvernement bourgeois », et de l'autre une motion indiquant que « Sans renier la tradition (de non-participation) le parti [évite] de condamner Millerand »5. Ainsi, sans trancher complètement la question, le Congrès laissait carte blanche à Millerand pour assumer son choix d'entrer dans ce gouvernement.

Durant toute la durée de son passage au ministère Waldeck-Rousseau, la position de Millerand sera l'objet de débats continus entre les partisans du socialisme réformiste soutenant Millerand et les partisans du socialisme révolutionnaire. Après sa sortie du ministère, Alexandre Millerand continuera à voter comme s'il en faisait toujours partie, ce qui ne fera qu'attiser le feu.6 Les 12, 13 et 14 avril 1903, le « cas Millerand » est de nouveau discuté au 41ème congrès socialiste de Bordeaux. Alexandre Millerand aura alors comme défenseur l'illustre Jean Jaurès, et comme détracteur Pierre Renaudel. Devant le congrès, le premier dit de Millerand qu' « il est resté pleinement fidèle à lui-même. Le langage qu'il tenait comme député, comme propagandiste socialiste, il le tient exactement comme ministre. Il a toujours été « évolutionnaire », en ce sens qu'il a toujours répudié l'emploi des moyens violents ».7 L'argumentation de Jean Jaurès rappelle exactement ce que disait Raoul Persil de Millerand lors de son entrée à la Chambre des députés. Par ailleurs, toujours en défense de Millerand, Jean Jaurès avance le fait qu'il existe une évolution progressive du socialisme vers un courant moins violent, tendant vers la thèse de l'entrisme qui veut que pour influer sur un système, il faut d'abord « entrer » dans son noyau : « Ce qui est vrai, c'est que de plus en plus le marxisme même détourne les travailleurs des vieilles méthodes révolutionnaires et leur conseille la conquête légale et graduelle du pouvoir par le suffrage universel ».8 Pour Jean Jaurès, l'intérêt général que défend Millerand par sa politique se place au-dessus d'un parti pris idéologique trop restreint et à court terme. Au contraire, c'est ce que Pierre Renaudel accuse Millerand, de faire justement le jeu des bourgeois par ses positions pro-gouvernementales, en oubliant la cause des ouvriers. Pour Raoul Persil, lors de ce congrès, Renaudel « reprocha à Millerand [...] d'employer une tactique qui était plutôt conservatrice que socialiste et une alliance avec la bourgeoisie, autrement dit il l'accusa d'être partisan d'une politique de solidarité et de nier la lutte des classes ».9 Renaudel se fait alors le porte-parole des socialistes révolutionnaires qui voit en la participation institutionnelle une trahison de l'idéal socialiste. Millerand lui-même interviendra au cours de ce congrès, non pour défendre sa place dans le parti socialiste mais pour rappeler que ce sont ses convictions politiques qui le guident et non une ligne partisane : « Croyez-vous qu'un jour vous pourrez prendre le pouvoir tout d'un coup, tout entier, pour faire en un jour de miracle la Révolution ? Si vous le croyez, vous avez raison de m'exclure, car je ne peux pas partager cette conception-là, parce qu'elle est en contradiction avec ma conduite, comme avec la vôtre, avec celle que, depuis dix ans, tient le Parti Socialiste ».10 Finalement, Millerand ne sera pas exclu du parti socialiste lors de ce congrès, mais en 1904, la fédération socialiste de la Seine votera son exclusion, après qu'il ait été désavoué par le groupe socialiste à la Chambre.11

Millerand quitte ainsi l'extrême-gauche, mouvement politique qui l'avait vu débuter, sans pour autant mettre fin à son engagement politique. Par la suite, il siègera au centre, d'abord parmi les Socialistes parlementaires de 1906 à 1910, puis parmi les Républicains socialistes de 1910 à 1914, et enfin au sein de l'Union républicaine radicale et socialiste de 1914 à 1919.12 Malgré l'appellation « socialiste », ces groupes parlementaires ne faisaient pas partie de l'Internationale Socialiste, et ne prônait pas un socialisme révolutionnaire.

Aux élections législatives de 1919, Alexandre Millerand mène dans le 2ème secteur de la Seine une campagne d'union regroupant sous sa bannière aussi bien des nationalistes comme Maurice Barrès que des radicaux et des socialistes comme Jean Allemane, ancien communard.13 Il justifie cette union large auprès de Raoul Persil14 : « Le nom de Maurice Barrès est nécessaire et suffisant pour donner à la liste la grande signification d'Union qui est sa raison d'être. Mais à une condition absolue, c'est qu'il y ait comme contre poids à ce nom celui d'un socialiste d'extrême gauche. Maurice Barrès implique nécessairement Allemane ! Il est impossible qu'il en soit autrement. Pour la signification politique de la liste, elle tient entière dans ces trois noms : Barrès, Allemane et j'ajoute, sans modestie, le mien. » Sous le nom d'Union Républicaine Sociale et Nationale, la liste conduite par Millerand sera un condensé de quasiment toutes les tendances politiques de l'époque. Non affilié à un parti politique, Millerand apparaît tout de même comme le leader du « Bloc national », alliance électorale qui rassemble nationalistes, catholiques, centristes et modérés de gauche. La Chambre qui ressort de ces élections, souvent appelée « la Chambre bleu horizon » en raison du nombre important d'anciens combattants en son sein, affiche une tendance orientée nettement vers le centre et la droite. A la Chambre, Alexandre Millerand va alors s'imposer comme le chef incontesté de cette majorité relativement large.

Il ressort de ceci que le glissement d'Alexandre Millerand au cours de sa carrière parlementaire, de l'extrême-gauche vers le centre droit, lui sera longtemps reproché. Il apparaît, pour bon nombre de ces anciens partenaires de gauche, comme un traître au socialisme et pour bon nombre de politiques comme un opportuniste qui cherche avant tout à être du bon côté du vent. Néanmoins, fondamentalement, Alexandre Millerand va garder intact son credo républicain, antirévolutionnaire et social. Il résume cet esprit dans une lettre adressé en 1919 au président du Comité Républicain Socialiste du XIIème arrondissement : « Plus que jamais l'intérêt national sera notre guide et notre loi. Préférences individuelle, considérations particulières, tout doit céder devant lui ».15 Ainsi, à l'encontre des reproches faits par ses opposants, Alexandre Millerand n'aura jamais divergé dans ses convictions, qui l'ont animé dès ses débuts politiques, convictions qui expliquent peut-être sa traversée de différents mouvements politiques sans jamais trouver d'ancre pour les y fixer. En effet, il est difficile à l'époque d'accommoder une certaine vision sociale à la défense de l'intérêt national. Le particularisme idéologique de Millerand sera cause pour lui d'une vie parlementaire et ministérielle agitée.

Une vie parlementaire et ministérielle agitée.

La carrière politique d'Alexandre Millerand va être jalonnée d'épisodes, anecdotiques pour certains, qui révèlent les animosités dont il sera victime durant la crise de 1924.

Le premier de ces épisodes va être son opposition farouche à la politique présidentielle menée par Casimir Perrier, dont il sera le bourreau politique. Elu le 27 juin 1894 à la présidence de la République, Jean Casimir-Perier souhaite mener une politique qu'il définissait dans son message présidentiel aux Chambres. En réponse à cela, Alexandre Millerand publie dans le journal la Petite République un article intitulé « Le porteur de trique » où il dénonce cette volonté présidentiel de jouer un rôle politique : « Le message de M. le président de la République n'a trompé ni les espérances de ses amis ni les craintes de ses adversaires. M. Casimir-Périer y manifeste, avec une résolution dont l'expression est à peine tempérée par quelques formules d'une vague banalité, sa volonté de ne pas perdre un pouce des prérogatives dont une interprétation savante des textes constitutionnels peut lui assurer l'usage. [... ] Mais puisqu'il est entendu que l'Elysée a désormais une politique et une volonté, qu'il soit en même temps entendu que c'est le droit et le devoir des élus du suffrage universel de discuter cette volonté et cette politique personnelles. »16 Pour Millerand, volonté politique implique nécessairement responsabilité politique, et ce même pour un Président de la République que les textes constitutionnels déclarent irresponsable. En janvier 1895, un débat anime la Chambre au sujet des conventions entre l'Etat et les compagnies de chemins de fer. A la suite d'une interpellation de Millerand mettant en cause la politique du cabinet et par là-même de la Présidence, le cabinet Dupuy tombe et le Président de la République, y voyant une attaque personnelle, démissionne le 15 janvier 1895. Cet épisode servira aux adversaires de Millerand en 1924 pour lui rappeler que si la Présidence de la République veut mener une politique personnelle, il faut qu'elle en assume les conséquences dont la démission en est la finalité.

Un autre épisode important va marquer la vie parlementaire d'Alexandre Millerand. Il s'agit de la chute du ministère Combes et de ses conséquences. En juin 1902, après la démission du ministère Waldeck-Rousseau, un cabinet radical est mis en place derrière la figure d'Emile Combes, ancien séminariste, radical, ancien président de la commission des loi chargé d'étudier la loi de 1901 sur les associations. Jugée autoritaire, parfois qualifiée de bonapartisme17, l'action de ce gouvernement sera essentiellement marquée par la lutte contre les congrégations religieuses, la rupture des relations avec le Saint Siège et la volonté d'instaurer une société purement républicaine. Les moyens usités pour mener à bien ce désir de purification républicaine vont prendre les formes les plus diverses, délation et espionnage dans l'administration et l'armée, mise en place de délégués communaux chargés de suppléer aux maires s'ils s'avèrent réticents aux idées républicaines. A l'occasion de cette dernière politique, un événement, qualifié d'affaire des fiches, en référence aux fiches fournies par le Grand Orient de France, obédience maçonnique, au ministre de la guerre André sur les officiers à promouvoir car républicains et ceux à faire stagner dans leur avancement militaire car cléricaux ou royalistes, va permettre à Alexandre Millerand de se distinguer. Le 4 novembre 1904 sont présentées à la Chambre des députés ces fameuses fiches maçonniques, annotées de la main même du ministre de la guerre André. Millerand prononce alors ces paroles à l'adresse de Combes, « Vous avez la folie de croire que c'est par de pareils procédés que vous constituerez une armée républicaine.... Vous avez ressuscité, en le rapetissant à votre taille, le régime des suspects. ».18 Le 9 novembre, Millerand critique de nouveau l'action du gouvernement et particulièrement le système des délégués communaux en appelant ses collègues députés à défendre les valeurs et libertés républicaines : « Jamais un ministre de l'Empire, sous le sommeil léthargique de nos libertés, n'aurait osé s'abaisser à ces pratiques abjectes. A vous, messieurs, de libérer ce pays de la domination la plus abjecte que jamais gouvernement ait entrepris de faire peser sur l'honneur et les intérêts de ses citoyens ».19 Malgré cela, le ministère Combes va tenir jusqu'en janvier 1905, jusqu'au moment où les députés vont s'apercevoir qu'ils ont été eux aussi les victimes de cet espionnage. Ses interpellations du gouvernement feront de Millerand la figure de l'anti-combisme, tant et si bien qu'il lui sera reproché pendant longtemps son opposition à la politique du ministère et à son leader. Raoul Persil rapporte la véritable « chasse à l'homme » dont sera victime Millerand : « Les pires manœuvres seront entreprises contre les députés anti combistes et plus particulièrement contre Millerand, aux chausses de qui la meute était lâchée. Non seulement les fonctionnaires politiques participèrent à cette chasse à l'homme, mais la magistrature elle-même fut embrigadée. Un procureur général et un juge d'instruction en vinrent même à se faire les instruments de cette campagne ».20 De même dès 1905, la chasse anti-Millerand se jouait sur la scène maçonnique. Lui-même franc-maçon, depuis le 21 mai 1883, Millerand sera exclu de sa Loge Maçonnique le 25 février 1905 en raison de son implication dans la chute du ministère du frère Emile Combes.21 Ainsi, cet épisode strictement politique aura des conséquences dans tous les aspects de la vie de Millerand, aussi bien dans sa carrière politique, sa carrière professionnelle (il était, nous le rappelons, avocat) mais aussi sa vie maçonnique. Dès lors, à partir de cette époque, Millerand devient plus que jamais un « free-lance » de la politique, sans attache partisane (il n'appartient plus au parti socialiste) ni idéologique (il est exclu de la Franc-Maçonnerie). Cela explique sans doute que les collaborateurs politiques de Millerand ne seront pas légion, et que Raoul Persil restera le seul vrai appui politique de son patron.

En juillet 1909, Alexandre Millerand devient ministre des Travaux publics, des Postes et Télégraphes. Comme lors de son premier passage dans un ministère, Millerand imprime sa marque à l'exercice de la fonction ministérielle. Raoul Persil rapporte sa façon de travailler qui faisait de lui un homme aimant contrôler pleinement la direction qu'il entendait donner à la politique du ministère : « Comme il le fit dans tous les ministères où il passa, Millerand, dès son entrée en fonction, institua tous les lundis une conférence où siégeaient tous les Directeurs : Travaux Publics, Postes Télégraphes, Chemins de fer de l'Etat, ce qui lui permit d'assumer ainsi personnellement la direction de tous les services de son ministère ».22 Ce trait de caractère de Millerand annonce la façon dont Millerand occupera son poste de Président du Conseil puis de Président de la République. Millerand est un homme politique qui, lorsqu'on lui confie un poste, désire assumer pleinement cette fonction en y apportant sa touche personnelle, parfois à l'encontre de la pratique d'alors.

Par la suite, Millerand fera deux passages remarqués au ministère de la guerre, dans une période de tension avec l'Empire allemand, de janvier 1912 à janvier 1913, puis durant la guerre, d'août 1914 à octobre 1915. Le premier de ces passages sera marqué par un fait de pure tactique politicienne. En janvier 1913, Raymond Poincaré, Président du Conseil, est pressenti pour être l'un des candidats républicains à la présidence de la République, le mandat d'Armand Fallières touchant à sa fin. Il demande alors, selon Raoul Persil, à son ministre de la guerre de revoir la politique que celui-ci menait, afin que son accès à la magistrature suprême ne s'en trouve pas empêché. Millerand s'exécute donc, ne voulant pas « qu'on l'accusât de se cramponner au pouvoir et de faire échec à son Président du Conseil et ami ».23 Cet épisode montre bien le détachement avec lequel Millerand exerce ses fonctions politiques, complétement dépourvu d'ambition personnelle. Millerand serait une sorte de fonctionnaire politique, qui ne fait qu'exercer sa fonction, sans volonté d'y tirer un apport personnel pour la suite. Il prononcera cette phrase qui illustre cela, lors de son deuxième passage au ministère de la guerre et alors que la guerre fait rage : « Travaillons dans le calme, le succès de la France doit seul nous guider, le reste ne compte pas ». Il fera face, durant ce second ministère, à divers problèmes, allant des difficultés à créer usines et arsenaux militaires au problème du manque de munitions, dû au fait d'avoir envoyé la plupart des ouvriers des fonderies et aciéries au front, en passant par les intrigues de Briand et Clémenceau qui reprochaient à Millerand de laisser trop de liberté dans la conduite des opérations militaires au Maréchal Joffre.24 Ici prend forme l'éternel débat entre tenants du pouvoir civil et tenants du pouvoir militaire, les premiers arguant une subordination du pouvoir militaire au gouvernement civil, les seconds y ajoutant qu'en temps de guerre, la conduite des opérations doit être laissée dans des mains expertes. Ces attaques politiques contre Millerand vont culminées le 1er juin 1915 avec la motion Bokanowski « demandant un séance secrète [de la Chambre des députés] où serait instruit le procès de Millerand ».25 L'article 5 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics prévoit que « les séances du Sénat et celles de la Chambre des députés sont publiques. Néanmoins, chaque chambre peut se former en comité secret, sur la demande d'un certain nombre de ses membres, fixé par le règlement. Elle décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance doit être reprise en public.» Cette première motion est un échec. Le 4 juin, nouvelle tentative, mais cette fois contre le cabinet Viviani dans son entier. Raoul Persil rapporte : « Bokanowski n'a pas renoncé à son projet de séance secrète. Ne pouvant arriver à atteindre Millerand tout seul, il s'attaque à tout le cabinet. Viviani se fâche et dit qu'il ne permettra pas qu'on l'étrangle. C'est encore un fiasco ».26 L'on comprend bien ce qui se cache derrière cette volonté de faire, en secret, le procès de Millerand. En effet, ce que l'on reproche à Millerand est la trop grande liberté laissée à Joffre dans la conduite des opérations militaires. Dès lors, en temps de guerre, une accusation publique de Millerand équivaudrait à une remise en cause directe des opérations de Joffre, une attaque frontale faîte à l'armée et à son Etat-major, et un risque de démobilisation militaire générale. On comprend alors pourquoi ce procès devait se faire dans le plus grand secret.

Paragraphe 2 : Une pratique présidentielle très personnelle.

La transition présidence du Conseil à présidence de la République fut très brève pour Alexandre Millerand, qui fut un « omni-président ».

De la présidence du Conseil à la présidence de la République.

En 1919 ont lieu les premières élections depuis la fin de la guerre, avec un système électoral, qualifié de « bâtard » par Jean-Jacques Chevallier27, qui mélange représentation proportionnelle et suffrage majoritaire. Ce système va favoriser l'émergence de deux blocs relativement distincts. La gauche de la Chambre est composée du Parti Socialiste d'avant le schisme Deuxième et Troisième Internationale qui a recueilli 1 728 000 suffrages, des Radicaux-Socialistes, 1 400 000 suffrages et des Socialistes Indépendants, 400 000 suffrages.28 Ces groupes n'ont pas mené campagne ensemble, ce qui ne sera pas le cas lors des élections de 1924. Les Radicaux, en effet, se méfiaient autant des socialistes, que de la droite centriste. Le parti socialiste refusait toute alliance avec les partis bourgeois, de gauche comme de droite. La droite de la Chambre au contraire est unifiée, derrière la figure de Clémenceau et un programme d'union nationale et de lutte contre le Bolchévisme.29 C'est au sein de cette union, dénommée Bloc National, que Millerand va faire campagne. Ce bloc est composé des Radicaux Indépendants, 500 000 suffrages, des Républicains de Gauche, 890 000 suffrages, de l'Entente, 1 800 000 suffrages et de la Droite conservatrice, 1 100 000 suffrages.30 En termes de sièges, la gauche comptabilise 180 députés, le Bloc National, 437.31

En janvier 1920, les places « présidentielles » se partagent au Bloc National : Clémenceau se porte candidat à l'Elysée ; la réunion préparatoire à l'élection lui préfère Paul Deschanel, nouveau président de la Chambre ; Clémenceau se retire. La présidence du Conseil échoie à Millerand, qui avait fait une campagne d'union nationale très large, de Barrès à Allemane (supra Chapitre 1, Section 1, Paragraphe 1). Son cabinet sera à l'image de sa campagne. Millerand se garde les Affaires Etrangères. A l'Intérieur, il place Théodore Steeg, un Radical-Socialiste. Au Commerce, Auguste Isaac, un Républicain Modéré. A la Justice et à la vice-présidence du Conseil, Gustave Lhôpiteau, de la Gauche Radicale sénatoriale. Au ministère de la Guerre et au ministère de la Marine, il nomme deux Républicains Socialistes, respectivement André Lefèvre et Adolphe Landry. A l'enseignement technique, il nomme un syndicaliste, Pierre Coupat. Et aux Finances, Frédéric François-Marsal, un banquier, ancien ministre de l'économie de Clémenceau. Les débuts de ce ministère sont relativement difficiles : malgré un discours programme hérité de la campagne du Bloc National, Millerand voit la confiance votée mais avec quelques 300 abstentions.32

Le Cabinet va durer sept mois, mais il va connaitre de nombreuses agitations. L'année 1920 est en effet agitée par de nombreuses grèves ouvrières, dans la lignée de la Révolution Bolchévique en Russie et le cabinet Millerand réagit avec fermeté à ces agitations (infra Chapitre 2, Section 1 Paragraphe 1). La politique menée alors par le Cabinet sera reprochée à Millerand lors de la crise de 1924.

Néanmoins, un autre événement de taille agite cette année 1920. En effet, le Président Deschanel, bien que nouvellement élu, éprouve quelques difficultés dans sa fonction présidentielle. Il semblerait que celui-ci, sous couvert d'une hypertension nerveuse, serait sujet à des crises de folies récurrentes, ce qui l'handicaperait dans l'exercice de sa fonction. En effet, le 23 mai 1920, dans le train présidentiel qui l'emmène, de nuit, à Montbrison, le Président de la République fait une chute de la fenêtre de son compartiment et atterrit sur la voie. Légèrement blessé mais en pyjama, il sera retrouvé par un garde barrière.33 D'autres épisodes de folies seront rapportés, comme la baignade, nu, dans les parcs du château de Rambouillet ou de l'Elysée, sans que la véracité de ces faits soit réellement confirmée. Pour autant, le 21 septembre 1920, atteint de « neurasthénie aiguë » selon Jacques Chastenet34, le Président Deschanel fait remettre par Millerand aux Chambres son message de démission. Dès lors que Clémenceau, l'ancien leader du Bloc National, s'est retiré, il ne reste que Millerand comme prétendant légitime de la droite pour la fonction suprême. Mais, comme le souligne Jacques Chastenet, Millerand hésite « à renoncer aux réalités du pouvoir pour occuper des fonctions qu'il juge trop purement représentatives ».35 Lui, l'homme d'action, de terrain, ne se voit pas enfermé dans une fonction chimérique dans une période où il estime que le pays a besoin de sa capacité de travail pour se remettre de la guerre. Pourtant, il finit par accepter la tâche qu'on lui incombe et est élu Président de la République le 23 septembre 1920 par 695 voix sur 892 suffrages exprimés. Commence alors une présidence unique dans l'histoire de la Troisième République. Dans sa déclaration aux Chambres en vue de l'élection, Millerand va esquisser les contours de sa future pratique présidentielle : « Depuis huit mois, soutenu par la confiance du Parlement, j'ai défendu et appliqué d'une manière méthodique et suivie cette politique [celle du Bloc national]. Je pense, et j'en ai donné les raisons, que je ne puis la servir nulle part aussi utilement qu'à la Présidence du Conseil. Si, néanmoins, la majorité des deux Chambres estime préférable ma présence à l'Elysée pour maintenir et soutenir cette politique nationale et si elle pense comme moi que le Président de la République, s'il ne doit jamais être l'homme d'un parti, peut et doit être l'homme d'une politique arrêtée et appliquée en étroite collaboration avec ses ministres, je ne me déroberai pas à l'appel de la représentation nationale »36. Fait unique dans l'histoire de la Troisième République, le candidat se présente à l'élection du président de la République, en se faisant le défenseur d'une politique précise, celle mise en œuvre lors de sa présidence du Conseil, donc celle du Bloc National, et, comble de l'innovation, il entend continuer cette politique dès lors qu'il serait élu. On assiste ici à un changement dans les institutions de la Troisième République, à une révision constitutionnelle, opérée par la pratique d'un homme. Après la « Constitution Grévy », celle d'un président effacé, on pourrait parler de la « Constitution Millerand », celle d'un président aux pouvoirs bien réels, élu par le Parlement sur un programme politique.

Un « omni-président ».

« Le Président de la République n'est pas constitutionnellement le syndic des Parlementaires, mais bien le représentant de la France ».37 Raoul Persil nous livre ici l'analyse sans concession de Millerand sur la fonction présidentielle. La pratique présidentielle qu'il va mener sera du même acabit. Dès la campagne des législatives de 1919, dans son discours de Ba-Ta-Clan, il avait esquissé les contours d'une révision constitutionnelle visant à rééquilibrer les pouvoirs, car il estimait que « le Parlement, depuis longtemps et dès avant la République, n' [avait] cessé d'usurper sur les attributions et sur les droits du Pouvoir Exécutif »38. Il appelait à ce que le Président de la République joue le rôle qu'il estimait que les lois constitutionnelles devaient lui donner.

En effet, les lois constitutionnelles de 1875 donnent, selon l'analyse de Gaston Jèze, des pouvoirs très étendus au Président de la République : « Lorsqu'on parcourt les lois constitutionnelles, on est d'abord frappé de l'immensité des pouvoirs qui sont dévolus au président. Il a l'initiative des lois, il les promulgue, il en surveille et en assure l'exécution. Il a le droit de faire grâce. Il dispose de la force armée. Il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il préside aux solennités nationales. C'est auprès de lui que sont accrédités les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères. Il peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés. Il prononce la clôture des sessions. Il est maître d'ajourner les deux Chambres pendant un mois. Il a droit de message. Il négocie et ratifie les traités »39. Devant ce florilège d'attributions présidentielles, on ne peut que partager la sentence du même auteur : « Aucun souverain ne paraît, à première vue, disposer de plus larges moyens d'action »40. Mais ces pouvoirs, aussi vastes soient-ils, sont en réalité soumis au contreseing ministériel, ce qui fait du président un incapable, au sens civiliste du terme. Il ne peut agir qu'avec l'accord du ministre qui endossera la responsabilité politique de l'acte, car seul le cabinet est responsable devant les Chambres.41 Pour Esmein, les pouvoirs du Président de la République ne peuvent s'exercer que de deux manières, le décret, «acte par lequel le Président, exerçant un de ses pouvoirs constitutionnels, prend une décision légale, exécutoire et obligatoire »42, et le message, « acte émané du Président et contenant [...] un exposé de vues, une opinion solennellement exprimée »43. Le premier entre dans la catégorie des actes juridiques, dans la mesure où l'existence de cet acte a pour but la réalisation des conséquences juridiques souhaitées, le second dans la catégorie des faits juridiques, dans la mesure où la portée des effets juridiques produits n'est pas connue dès la production de l'acte. Ces deux manières d'exercer le pouvoir présidentiel sont issues des lois constitutionnelles, mais il existe une autre manière qu'a le Président de la République d'exercer son pouvoir, plus indirecte, plus discrète. Cette manière, non institutionnelle, résulte de la pratique et est attachée à la personne du Président. Ainsi, Jules Grévy, qui pourtant avait débuté son septennat en clamant qu'il n'entrerait jamais en opposition avec les Chambres, n'avait pas moins une influence sur la politique de la nation par le choix de ses présidents de conseil. Freycinet, son président de conseil à partir de 1879, disait de lui qu'il choisissait « ses présidents du conseil d'après ses appréciations personnelles, non d'après les indications données par la majorité parlementaire »44. Par le choix du président du conseil, le Président de la République influe sur l'orientation de la politique de la nation. Ainsi, en repoussant jusqu'au bout l'appel de Gambetta à la présidence du conseil, Grévy l'a empêché de jouer le rôle politique que celui-ci entendait jouer45. Cela rejoint l'analyse de Paul Deschanel après son passage à l'Elysée : « Parmi les pouvoirs dont jouit le président de la République en France, il en est deux réels : le choix du premier ministre [...], et l'action que le président peut exercer soit dans ses entretiens avec le président du conseil, soit au conseil des ministres ».46 C'est l'analyse aussi de Léon Duguit, « il est un acte pour lequel il nous semble cependant que le président de la République peut agir avec une entière indépendance et exercer une action très effective, c'est le choix du président du conseil du nouveau ministère au cas de crise ministérielle »47. A son tour, inspiré de cette thèse juridique, Millerand n'entend pas rester cet incapable présidentiel, engoncé dans des habits institutionnels trop courts pour lui, mais au contraire, entend devenir le rouage essentiel de la politique de la France.

Dans sa déclaration aux Chambres en vue de l'élection, il avait déjà affiché les futurs contours de sa présidence. Il ne lui restait plus qu'à les appliquer. La première évidence de cette mainmise présidentielle sur les affaires politiques va consister en la reconduite du cabinet Millerand par lui-même, mais sans lui. En effet, Millerand nomme comme chef de cabinet le centre gauche Georges Leygues, qui garde le portefeuille des Affaires Etrangères, et tous les ministres du cabinet Millerand. Jean-Jacques Chevallier parle d'un « ministère Millerand sans Millerand »48. De plus, Leygues, ancien ministre de la Marine sous Clémenceau, va s'effacer devant le président de la République pour ce qui est de la conduite de la politique étrangère de la France. Il est troublant de voir que la pratique présidentielle de Millerand va influencer à ce point la pratique constitutionnelle de la Vème République en ce sens qu'apparaîtra, lors de la première cohabitation politique de 1986, le « domaine réservé » du Président de la République qui comprendra la conduite de la politique extérieure de la France. Millerand en fait un domaine d'activité personnel, parfois même à l'encontre de son chef de cabinet. Très actif dans ce domaine durant sa présidence du Conseil (avec un peu plus d'une conférence internationale par mois, à une époque où le transport se faisait principalement par chemin de fer, et donc, était sujet à obstacle spatial et temporel), Millerand continue son activité internationale durant sa présidence de la République. Raoul Persil souligne cette volonté internationaliste du Président : « Ce qui le préoccupait par-dessus tout, c'était la stabilité de l'Europe Orientale, autrement dit le maintien de l'intégrité territoriale de la Pologne qu'il considérait comme le facteur essentiel de la paix définitive »49. Il ira même contre la politique étrangère menée à Cannes par son président du conseil Aristide Briand (qui a remplacé Leygues en janvier 1921). Lors de cet épisode, appelé le « coup de Cannes », une divergence était apparue entre Millerand et Briand. Trois nations étaient concernées par des tractations en vue de la Conférence de Gênes qui devait redonner un nouveau souffle au commerce européen: la France, la Grande Bretagne et la Russie. La position française, définie par Millerand en tant que président du Conseil, était claire : des négociations ne pouvait avoir lieu avec la Russie tant qu'elle « ne changerait pas sa formule bolchévique [de gouvernement] »50. Les Anglais, sous l'égide Lloyd Georges, alors premier ministre, avaient une politique plus conciliante avec les Soviets. Lors de la conférence de Cannes, la résolution finale, négociée pour la France par Briand, penchait vers le sens britannique, c'est-à-dire favorable au gouvernement russe. Aucune contrainte de renonciation au bolchévisme ne lui était imposée. Cela allait à l'encontre de la politique arrêté par Millerand président de la République en conseil des ministres, et il allait le rappeler à Aristide Briand, chef du gouvernement et ministre des Affaires Etrangères. Dans deux télégrammes qu'il lui envoie suite à l'adoption de la résolution, la mainmise du président de la République sur la politique extérieure est très nette [nous soulignons] : « Je me permets donc d'insister pour que, dans le plus bref délai, il soit déclaré au nom de la Conférence que le Gouvernement Russe ne pourra bien entendu venir siéger à la Conférence qu'après avoir préalablement accepté les conditions exprimées. » ; « Il est à mon sens bien fâcheux que -comme je m'étais permis de vous le demander avec insistance ainsi qu'à M. Loucheur- on n'ait point fait de la participation des Etats-Unis une condition sine qua non de la réunion de la Conférence .» ; « Je ne doute pas que vous dirigiez dans ce sens des conversations qui ne sauraient du reste aboutir à une conclusion avant que le Conseil des Ministres et moi ayons pu être mis au courant des entretiens de Cannes et délibérer à nouveau du sujet avec vous. »51 . Ces extraits sont révélateurs de la volonté de Millerand de diriger lui-même ces négociations. Dans ses propos, on remarque la subordination de Briand à un Président de la République, qui décide de tout, en son conseil des ministres. Le conseil des ministres serait une sorte de réunion des collaborateurs de Millerand, et lors de cette conférence, Briand n'endosse pas l'habit du chef du Cabinet, mais bien de l'envoyé du président de la République en tant que ministre des Affaires Etrangères. Cette situation ne plaira pas à Briand, qui démissionnera dès son retour de Cannes.

Millerand ne s'arrêtera pas là. Suite à la démission de Briand, Poincaré, l'ancien Président de la République, revient à la présidence du Conseil. Le 11 janvier 1923, il ordonne l'occupation de la Ruhr, bassin industriel allemand, et de ses usines, par les troupes françaises, après accord de la Commission des Réparations, organe interallié chargé des réparations de l'après-guerre. Le point de départ de cette opération est le manquement répété par l'Allemagne à ses obligations de réparations et de remboursements découlant du Traité de Versailles. Cette opération vise à l'obliger à tenir ses dettes, si besoin en se servant à la source, c'est-à-dire dans les usines. Officiellement, cette opération fut décidée par Poincaré, avec l'appui du conseil des ministres. Mais là encore, la main du président de la République se fait sentir. Dans un article paru dans le Figaro Littéraire, Raymond Poincaré confie à François-Poncet « qu'il n'avait pas été partisan de l'opération, dont, pourtant, la responsabilité lui incombera devant l'histoire »52. De plus, « il l'avait déconseillé, ainsi, d'ailleurs, que le maréchal Foch ; mais le Président de la République, Alexandre Millerand, et tous les ministres [...] l'y avaient poussé avec tant d'insistance qu'il ne s'était pas cru en droit d'aller contre leur sentiment. »53 On retrouve là encore la volonté de Millerand de peser sur les affaires internationales de la France. Certes, son action n'est pas officielle, elle se fait par l'entremise d'intermédiaires, toute en discrétion. Mais elle est réelle et tangible. En réponse à cette opération, le gouvernement allemand provoque la Résistance passive, faite des grèves ouvrières, des services publics et des chemins de fer, de sabotages et d'attentats. Néanmoins, le 26 septembre, les Allemands capitulent et se plient aux conditions de la France. Millerand savourera sa victoire et dira : « C'est le plus grand événement depuis l'armistice »54.La fonction présidentielle telle qu'exercée par Millerand est unique et matinée d'autoritarisme. La rencontre avec l'élection du Cartel des gauches va faire que ces deux faits politiques déclencheront la crise.

Section 2 : La victoire du Cartel des Gauches aux élections législatives : l'élément déclencheur.

La campagne électorale en vue des législatives de mai 1924 fut agitée (Paragraphe 1), mais le Cartel des gauches sortit vainqueur de cette confrontation populaire, demanda « toutes les places et tout de suite » (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Une campagne électorale mouvementée.

Les élections législatives approchant, les forces politiques se préparent à l'affrontement. Deux blocs vont se faire face, la majorité sortante, le Bloc national et une coalition des gauches, le Cartel des gauches.

La prise de position de Millerand en faveur du Bloc National.

La majorité sortante reste unie dans la campagne derrière son programme d'union nationale, de progrès, et d'intransigeance vis-à-vis des réparations dues par l'Allemagne. Pour autant, en automne 1923, les élections approchent et le Président du Conseil, Raymond Poincaré, chef de la majorité à la Chambre, n'a toujours pas prononcé le discours-programme sonnant le début de la campagne électorale. Raoul Persil rapporte que « suivant la tradition parlementaire telle qu'elle s'est établie depuis l'origine du Parlement, le chef du Gouvernement, à la veille des élections, prononce un discours-programme pour présenter au pays ceux qui l'ont soutenu et défendre leur politique »55. Dès lors, au sein du Bloc national, les esprits s'agitent : si le président du conseil, l'homme qui a mené depuis presque deux ans la politique du Bloc, ne prend pas ses responsabilités, quel homme pourrait le remplacer ? Qui aurait la stature nationale nécessaire à fédérer les électeurs derrière un programme ? Le nom de Millerand circulait. Il avait été le chef du Bloc pour les élections de 1919, le président du conseil du début de la législature et pouvait incarner et défendre la politique menée jusqu'alors par le Bloc (dont il avait été l'instigateur discret mais réel). Pourtant, un problème juridique et institutionnel se posait. Les lois constitutionnelles lui donnent le droit de communiquer par message avec les chambres56, par l'intermédiaire d'un ministre, mais il n'est nulle part question de la possibilité de s'adresser par message à des électeurs. Quand bien même il pourrait et le ferait dans un discours-programme, le contreseing ministériel serait nécessaire pour endosser la responsabilité de l'acte politique, le Président étant irresponsable. En effet, institutionnellement, le président de la République n'est pas le chef de la majorité, son élection résultant souvent d'un compromis politique, il est une personne relativement peu influente (« je vote pour le plus bête » disait Clémenceau). Il en est tout autrement pour Millerand. Celui-ci était le chef de la majorité Bloc national à la Chambre en 1920, ayant été le président du conseil de Deschanel avant d'être porté à la présidence de la République. Et dans son discours précédant l'élection, il annonçait qu'il serait le président d'une politique définie et défendue par lui, celle de sa majorité Bloc national. De fait, lorsque la défection de Poincaré devient évidente, Millerand se sent l'obligation de poursuivre sur sa lancée et d'endosser le rôle qu'il a toujours entendu mener, celui de leader du Bloc national et défenseur de sa politique. « C'est mon devoir, je l'accomplirai ».57 Pourtant, de nombreuses voies ont mis en garde le Président contre ce risque politique et institutionnel, dont celle de Raoul Persil. Mais rien n'y fit, Millerand était décidé à assumer son rôle de leader politique avant d'assumer celui de président de la République.

Le 14 octobre 1923, il prononce à Evreux le discours qui l'entrainera vers sa chute en juin 1924. Ce discours innove dans la tradition de la Troisième République puisqu'il est bel et bien le discours-programme d'un chef de l'Etat chef de la majorité à la Chambre. Millerand y fait une analyse de la politique menée par sa majorité tout au long de la législature. Il rappelle et légitime l'épisode de l'occupation de la Ruhr, « attaché à respecter le droit et la volonté des peuples, [le peuple français] a poussé le scrupule jusqu'à sacrifier cette préoccupation des garanties importantes de sa sécurité. Il a attendu trois ans au cours desquels il a exagéré peut-être les concessions avant de se résoudre, avec ses amis belges, à user du droit de contrainte que leur reconnaissait le texte du Traité de Versailles comme les principes généraux du droit »58. Il y critique la Révolution Russe, qu'il a combattu avec Briand,59 y défend la politique fiscale du Bloc, « c'est l'honneur du Parlement de n'avoir pas hésité, sans souci d'une méprisable popularité, à voter d'un coup 8 à 9 milliards d'impôts nouveaux »60, sa politique sociale, « un vaste projet de loi d'assurances sociales, inspiré de statut alsacien-lorrain, imprégné de l'esprit des traditions mutualistes, fut préparé, déposé, rapporté. »61, il explique les raisons de la reprise des relations avec le Saint-Siège. En somme, il dresse le bilan de la politique menée par la majorité Bloc national sous sa présidence de la République. Il y apporte même un jugement de valeur positif, en y attribuant une « médaille »62. Il esquisse aussi les orientations qui selon lui devront être mise en œuvre par la future majorité de la Chambre. Une nouvelle réforme budgétaire sera nécessaire, « la compression des dépenses s'impose »63. Il estime qu'une réforme administrative devrait permettre de redonner sens à l'idéal républicain contre les corporatismes. En analysant les données démographiques désastreuses d'après-guerre, il considère qu'une « politique de natalité s'impose aux gouvernants de la France avec un caractère presque tragique de gravité et d'urgence »64. Il appelle à une solidarité des classes, à contre-courant d'une époque où la lutte des classes est une idée en vogue. De cette façon, Millerand se place en défenseur, en gardien d'un héritage politique, d'une politique même, celle menée par le Bloc national. Déjà les voix se sont élevées, à gauche principalement, pour dénoncer cette prise de position présidentielle. Gaston Jèze le rapporte dans la RDP de 1923 : « Certains partis politiques ont violemment reproché à M. A. Millerand de défendre énergiquement, en chef de parti, les solutions adoptées par la majorité parlementaire ou désirées par la majorité parlementaire. [...] Il s'est posé en champion de toutes les idées conservatrices et autoritaires »65. Pour lui, Millerand n'a pas outrepassé ses pouvoirs constitutionnels, mais il a rompu « avec la tradition laissée par ses prédécesseurs »66. A la séance de la Chambre des députés du 23 novembre 1923, Poincaré, le président du conseil mais surtout ancien président de la République, va émettre une critique sur cette sortie de Millerand : « J'ai, quant à moi, une conception qui est, je crois, conforme à la tradition républicaine, c'est que le Président de la République n'est pas le Gouvernement »67. Pour lui, Millerand est sorti de son rôle présidentiel et son discours est, comme l'a souligné Gaston Jèze, contraire à la tradition.

Le discours d'Evreux ne s'arrête pourtant pas à ce « discours-programme ». La partie essentielle du discours qui créera encore plus la polémique que la prise de position en faveur du Bloc national et qui lui sera reprochée pendant la crise de juin 1924 sera l'annonce par Millerand d'une éventuelle réforme constitutionnelle. Il émet d'abord une critique détournée des institutions en place, en rappelant quelles places celles-ci devraient occuper sur la scène politique française : « Que le pouvoir législatif se contente de légiférer et de contrôler ; que le pouvoir judiciaire rende, en toute indépendance, les arrêts que lui dictent la loi et la conscience ; que soumis au contrôle de l'un, respectueux de l'indépendance de l'autre, le pouvoir exécutif administre et gouverne : la règle est plus aisée sans doute à formuler qu'à suivre. On ne la violera pas cependant sans subir aussitôt les effets de la transgression. »68 Cette énumération sonne comme un rappel à l'ordre adressé au Parlement, qu'il juge responsable de l'instabilité ministérielle (une stabilité aura été installée par Millerand qui n'aura que trois présidents de conseil, Leygues, Briand et Poincaré en quatre ans) et aux magistrats, dont il avait été la victime suite à la chute du ministère Combes. Il va même enfoncer plus loin la critique de la place du Parlement dans les institutions françaises : « La constitution, les lois et les mœurs ont fait au Parlement une part trop large pour qu'il soit utile d'y rien ajouter ».69 Sa volonté est de rééquilibrer les institutions de la Troisième République, en donnant plus de place à l'exécutif et au Président de la République. Il termine pas un souhait prémonitoire (il faudra quand même attendre 1958 pour que sa vision soit reprise par le Général De Gaulle) : « Le jour ne tardera pas où [...] il nous sera permis d'entreprendre l'œuvre délicate et indispensable de la révision. Par des retouches mesurées, apportées à notre Constitution dans les formes qu'elle-même a prévues, on l'adapterait au besoin généralement ressenti de donner au gouvernement plus de stabilité, aux intérêts économiques plus de garanties ; on en ferait un instrument plus souple et plus sûr d'une politique républicaine, sociale, nationale, exclusivement dévouée à la prospérité et à la grandeur de la patrie ».70 Ce projet de révision constitutionnel, Millerand en avait donné les grandes lignes dans son discours du Ba-Ta-Clan en 1919. Il y critiquait déjà la trop grande place du Parlement : « Le Parlement, depuis longtemps et dès avant la République, n'a cessé d'usurper sur les attributions et sur les droits du Pouvoir Exécutif »71. Reprenant la théorie des « groupes organiques sociaux » développée par Léon Duguit en 189572, qui veut que la société se compose doublement, autant par les individus que par les groupes sociaux auxquels ils appartiennent , il entend l'appliquer aussi bien à l'élection du Président de la République qu'à celle des sénateurs : « On peut appeler à choisir le Président de la République, non seulement les membres du Parlement, mais avec eux les délégués des Conseils Généraux, les délégués des grandes corporations : syndicats patronaux, ouvriers, agricoles, commerciaux, industriels, grands corps intellectuels et artistiques. [...] Je voudrais que le Sénat fut composé, pour partie, par des représentants élus par les associations professionnels ; à côté des sénateurs, sortis directement, comme aujourd'hui, du choix des Conseils Municipaux et Généraux, qu'il y eût des sénateurs nommés par les Chambres de Commerce, les grands syndicats patronaux et ouvriers ruraux et urbains, la confédération générale du Travail, les Universités, les Académies. »73 Cette composition des deux corps électoraux, sénatorial et présidentiel ébauche la notion des grands électeurs de 1958, ainsi que la création du Conseil économique et social. Léon Duguit trouvait que cette prise de position du Président en faveur d'une révision n'était pas constitutionnelle, car devant normalement émanée des chambres74 : « En parlant comme il l'a fait, le président de la République restait-il dans la légalité constitutionnelle ? Je n'hésite pas à répondre non. En exposant un programme sur les modifications qu'il y aurait lieu d'apporter à la constitution et sur la nécessité de procéder à une révision, M. Millerand prenait au premier chef une attitude politique sans que le président du conseil y fût associé et sans que le parlement pût la contrôler. [...]En agissant et en parlant comme il l'a fait, certainement M. Millerand est allé contre l'esprit et la lettre de notre constitution »75.

Par cette intervention, Millerand va incarner, pour la gauche de la Chambre, la possible dérive autoritaire d'un Président de la République qui souhaite voir ses pouvoirs élargis. Et pour contrer cette figure politique qu'est Millerand, il faudrait que la gauche se trouve un leader charismatique, qu'elle va trouver dans la personne du radical Edouard Herriot.

L'avènement d'Edouard Herriot au sein du parti Radical.

« Je viens vous dire que, dans cette heure décisive où le problème, jusqu'ici mal posé, tend à se résoudre enfin, nous ne mêlerons pas plus nos bulletins à ceux de la majorité que nous ne céderons aux menaces révolutionnaires. On nous défie des deux côtés : ce double défi, nous l'acceptons »76. C'est par cette envolée lyrique pleine de volonté qu'Edouard Herriot affirme le nouveau positionnement du Parti Radical le 15 juin 1923.

Depuis les élections de 1919, en effet, le Parti Radical penne à trouver sa place au sein de la scène politique française. Il a perdu son leader charismatique, Georges Clémenceau, qui s'est retiré suite à son échec à la présidence de la République, et, à la Chambre, n'a pas de positionnement clairement établi. « Il en résulte un comportement pour le moins ambigu du Parti radical dont personne ne sait plus exactement s'il figure dans la majorité ou s'il est un groupe d'opposition »77 écrit Serge Berstein. Ce positionnement, ou plutôt cette absence de positionnement, est une stratégie développée par Edouard Herriot, président du parti depuis 1919. Il en fait un véritable système politique, qu'il défend avec acharnement au sein de son parti.78 Mais cette stratégie peut se révéler payante à l'approche des élections de 1924 puisque le Parti Radical, même si parfois il votera avec la majorité Bloc national à la Chambre, pourra se présenter aux électeurs comme vierge de toute implication dans la politique menée par les amis de Millerand. Pour autant, au sein du parti radical, l'ambiguïté subsiste, comme le note Paul-Boncour dans L'Ere nouvelle, journal radical, le 13 mars 1920 : « Le silence des chefs du radicalisme est regrettable ; leurs ordres du jour d'approbation du gouvernement sont un scandale... Ils servent la politique de la majorité en servant le gouvernement qui s'appuie sur elle ». 79 La tâche d'Herriot sera donc simple : faire en sorte que son parti émerge de la scène politique, sans renier ses valeurs mais en gardant une participation discrète à la politique menée à la Chambre. Il va d'abord s'attacher à clarifier la frontière gauche de son parti et notamment exprimer la position du parti face à la gauche révolutionnaire dont il rejette la doctrine : « Tout recours à la violence, à l'insurrection pour imposer une solution que le processus légal devrait seul être de nature à promouvoir, apparait inacceptable, et c'est le sens de la barrière tracée par Herriot à la direction de gauche qu'il entend imprimer à son parti »80 nous explique Serge Berstein. Pour autant, Herriot ne va pas couper complètement les liens avec la gauche socialiste républicaine, puisqu'il va leur proposer, en vue des élections de 1924, une alliance électorale regroupant la gauche républicaine et intitulé le Cartel des gauches. Ce rapprochement est accepté par les socialistes au Congrès de Marseille de janvier-février 192481, avec toutefois la mise en garde d'Herriot vis-à-vis du communisme, « en avertissant clairement les leaders de la SFIO qu'il ne saurait être question, sous prétexte de surenchère avec les communistes, de la moindre concession à une doctrine étrangère à l'esprit républicain »82. L'éloignement d'avec le Bloc national se fera en deux temps : d'abord sollicité pour entrer dans le gouvernement Poincaré en janvier 1922, Herriot refuse, en arguant que son parti fait partie de la « minorité » de la Chambre et non du Bloc national. Ensuite l'occupation de la Ruhr, selon Serge Berstein, va permettre aux radicaux, pour la première fois, de proposer une autre politique pour obliger l'Allemagne à assurer les réparations de la guerre, par le biais de la conciliation et de la négociation.83Serge Berstein date l'éloignement du Bloc national à cette occupation de la Ruhr, « qui va donner aux radicaux l'occasion d'affirmer leur identité propre face à la droite et à l'extrême gauche et fournir à leur président les arguments décisifs de rupture avec la majorité ».84 Jean-Marie Mayeur nous donne une date précise de l'année 1923 : « Le 7 novembre, le comité exécutif du parti radical, présidé depuis septembre 1919 par Edouard Herriot, anti-clémenciste, se retira du Bloc national »85. Le parti radical, dès lors, trouve son identité propre, ou plutôt, retrouve son identité républicaine qu'il avait perdue dans les méandres de ses hésitations politiques.

Ayant réaffirmé l'assise politique de son parti, Herriot va pouvoir laisser libre cours à sa verve politique, afin de devenir le leader incontesté du Parti radical, certes, mais aussi de l'opposition au Bloc national. Il va s'opposer au projet de décret-loi demandé par le cabinet Poincaré en février 1924, écrivant dans le Bulletin du Parti radical « Il y a un minimum qu'on ne peut franchir. Nous ne pouvons qu'avertir ceux qui ne le comprendraient pas. Il est démontré que depuis la Révolution française, jamais il n'aura été permis au pouvoir législatif de déléguer sa fonction... La délégation ne se délègue pas : c'est impossible... Dussiez-vous être battus, dussiez-vous n'être pas compris, vous n'avez pas le droit de céder : j'aimerais beaucoup mieux pour ma part être le représentant d'une minorité fidèle à la doctrine que d'être le chef d'une cohue aveugle et sourde »86. Herriot est l'instigateur du Cartel des gauches. C'est lui qui en fixe les règles au nom du Parti radical : la campagne électorale se fera sur un axe médian, avec pour thèmes le respect de la laïcité, chère aux radicaux, la défense d'une politique de rigueur pour les classes aisées, la conservation des monopoles d'Etats et surtout une politique de modération, de négociation et d'apaisement à l'international. De plus, Herriot définit des motifs d'exclusion du Cartel, en cas de manquements au respect de la laïcité et des lois sociales, en cas de soutien aux décrets lois et de non acceptation de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune. Dès lors ces motifs vont permettre d'exclure toute alliance avec les partis et les candidats du Bloc national. Le Cartel des Gauches est lancé, avec comme chef du bateau le capitaine radical Herriot et comme mousses les socialistes, dont Serge Berstein dit qu'ils « avaient volontairement laissé dans l'ombre leur programme pour mettre en avant celui qu'Herriot a fait adopter par les radicaux »87. La victoire sera là, apportant son lot de surprises.

Paragraphe 2 : La victoire du Cartel : « toutes les places et tout de suite »88.


La victoire cartelliste est une victoire technique favorisée par le mode de scrutin, ce qui ne l'empêche pas de prétendre à s'emparer de la présidence de la République.

Une victoire technique : un rapport voix/siège favorable.

La victoire électorale se dessine favorablement pour le Cartel des Gauches. Le scrutin a lieu le 11 mai 1924. Jean Noël Jeanneney note qu' « au matin du 12 mai 1924, la France se réveille à gauche : elle découvre que les élections législatives ont renversé la majorité de la droite et du centre droit, la majorité « bleu horizon » du Bloc national qui gouvernait depuis le renouvellement de la Chambre en 1919. Et voici que s'ouvre une ère nouvelle ».89 Ere nouvelle, certes, mais la victoire du Cartel se fait dans un mouchoir de poche. Au nombre de voix sur le pays, le Cartel ne sortait pas vainqueur du scrutin. Jean-Marie Mayeur note que « certes, par rapport à 1919, la gauche socialiste et radicale connaissait une réelle remontée, mais elle n'avait pas la majorité en voix dans le pays »90. En effet, la droite et le centre engrangeaient respectivement 328 003 voix pour les Conservateurs et Action française, 3 190 831 voix pour l'Union républicaine, 1 020 229 voix pour les Républicains de gauche et radicaux nationaux, soit un total de 4 539 063 voix ; alors que le Cartel des gauche comptabilisait 2 644 769 voix auxquelles ajouter 749 647 voix des listes SFIO indépendantes, soit 3 394 416 voix. Les communistes, hors Cartel, faisaient quant à eux 875 812 voix.91 Mais, comme le rappelle Jean-Marie Mayeur, « ce qui compte [...] ce sont les sièges, et là le succès du cartel est incontestable »92. Marcel Déat, dans ses Mémoires politiques, nous fait sentir cette euphorie de la victoire cartelliste : « L'étendue de la victoire, après quelques jours, apparaissait supérieure à ce qu'on avait pu rêver. Le ministre de l'Intérieur lui-même, Mauroy était battu, et avec lui Tardieu, Maudel, Léon Daudet, le général de Castelnau, etc. Un vrai massacre »93.Pour Frédéric Monier, « le mode de scrutin [alliant système majoritaire et proportionnel] a transformé cette minorité en voix en majorité en sièges à la Chambre des députés »94. En effet, ce système électoral, qui, après élection du candidat ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, redistribue les sièges restants à la proportionnelle, favorise les « meilleurs deuxièmes de liste». Dès lors, face à un candidat populaire qui a de grande chance d'être élu dans son fief électoral et dont la liste ne comporte pas d'autres grandes figures, la stratégie veut que l'on présente une liste dont les premiers noms soient, pour les électeurs, un choix raisonnable. Autrement dit, face à un vieux loup de la politique qui surnage dans sa liste, il faut mieux présenter une liste solide de jeunes chiens ayant plus de chance de récupérer les sièges à la proportionnelle. On assiste donc à une étrange victoire du Cartel : minoritaire aux nombres de voix, ils sont majoritaires à la Chambre. Le glissement des voix vers la gauche a donc été très minime. « L'essentiel est ailleurs », note Jeanneney, « les gains de la gauche sont puissamment amplifiés, quant à leur traduction en nombre de sièges, par les effets du système électoral qui, quatre ans plus tôt, avaient joué si sévèrement contre elle ».95

Cette euphorie électorale doit être tempérée par les chiffres car, comme le note Marcel Déat, « nous pourrions noter qu'un déplacement de voix assez léger pourrait suffire à en faire surgir une autre [majorité], car le Bloc national défunt possède encore 243 voix, si les cartellistes pures disposent de 266 suffrages »96. Jean-Noël Jeanneney donne 287 sièges au Cartel97, tout comme Jean-François Sirinelli98 et Jean-Jacques Chevallier99. Jean-Marie Mayeur en donne moins, 286. Cette divergence de chiffres entre Déat, Jeanneney, Sirinelli, Chevallier et Mayeur s'explique par la porosité des limites des groupes, en fonction des choix des individus. Sur 568 députés, 286 sièges sont donc occupés par les hommes du Cartel, avec 105 sièges pour la SFIO, 42 pour les Républicains socialistes et 139 pour les Radicaux-socialistes. L'ancien Bloc national est lui éclaté en différents groupements, Gauche radical, 41 sièges, Gauche républicaine démocratique, 43 sièges, Républicains de gauche, 38 sièges, Union Républicaine démocratique, 104 sièges, Indépendants, 28 sièges, pour un total de 254 sièges. Les communistes avaient quant à eux 28 sièges.100 Frédéric Monier le souligne, « pour exister, le gouvernement de Cartel a besoin d'aller chercher l'appui de députés du centre gauche, dont le soutien à terme peut s'avérer aléatoire »101. Jean-Noël Jeanneney fait la même analyse : pour avoir une majorité absolue, « il faudra chercher au centre l'appoint indispensable »102. La victoire n'est pas si totale. L'alliance cartelliste apparait bien fragile tout de même, entre les socialistes qui se sont rattaché au Cartel sans vraiment de conviction, les centristes qu'il faut aller courtiser pour avoir l'espoir de gouverner sans trop de difficultés. Les communistes sont là, qui vont essayer de tirer à eux les socialistes indécis, et le Bloc national n'est pas mort et reste la deuxième force de la Chambre. La Chambre, contrairement à 1919, sort de ce scrutin séparée en deux blocs, le Cartel victorieux et l'ancien Bloc national, autour desquels gravitent deux petits satellites, les Communistes à l'extrême gauche et les centristes. Certes, la roue a tourné et le président du conseil va devoir démissionner, lui qui n'avait pas voulu prendre part à la bataille électorale pour se ménager une voix de secours en cas de sortie. Marcel Déat le rappelle : « Dans toute la France, le succès des gauches s'affirme, le Bloc national parait balayé et Poincaré va être obligé de céder la place ».103 Mais la position du Cartel est très instable et elle va nécessiter un coup d'éclat pour réussir à assoir sa place majoritaire.

Une prétention constitutionnelle : la présidence de la République.

Le coup d'éclat que cherche le Cartel va être la conséquence directe du discours d'Evreux du président de la République en octobre 1923. En effet, ayant pris position pour le Bloc national, devant la défaite de ses troupes, Millerand, pour les hommes du Cartel, doit en assumer les conséquences. Le ton est donné par le journal de gauche Le Quotidien qui titre le 12 mai 1924 : «Présidents, allez-vous-en ! ». Léon Duguit l'avait prédit dès 1923, si un président de la République se fait le défenseur d'une politique, il risque d'en tirer des conséquences qui pourrait être désastreuses pour la fonction : « Souhaitons que les chefs d'Etat qui se succéderont au pouvoir ne tentent même pas d'esquisser une politique personnelle. Elle serait d'ailleurs bientôt brisée, mais non sans à-coups, peut-être graves pour le pays. Qu'ils comprennent aussi que tout en respectant scrupuleusement les vrais principes du gouvernement parlementaire, ils peuvent exercer une très heureuse et très active influence sur la politique intérieure et extérieur, et cela par leur autorité personnelle, leur expérience, leur savoir et aussi le prestige qu'ils doivent à leur haute fonction même ».104 L'avertissement était lancé à Millerand. Celui-ci avait enfoncé le clou en mars 1924 à la veille des élections, lorsque dans le journal Le Matin, il faisait écrire que « le chef de l'Etat ne saurait appeler au pouvoir qu'un cabinet résolu à continuer la politique suivie jusque-là »105. Et d'ajouter « Au cas où le pays se montrerait hostile à la continuation de la politique [du Bloc national], le président de la République en tirerait immédiatement en ce qui le concerne les conséquences qu'il jugerait opportunes ».106 Cette phrase peut se comprendre de deux manières : en cas de défaite du Bloc national, donc de rejet de la politique menée jusqu'alors, le président de la République en tirerai les conséquences, c'est-à-dire qu'il nommerait à la présidence du conseil un individu issu de la nouvelle majorité voulue par les électeurs. Autre lecture : en cas de défaite du Bloc, le président en tire les conséquences pour lui-même, étant l'ancien leader de ce mouvement et l'instigateur de sa politique, et donc présente sa démission aux Chambres. C'est cette deuxième lecture que les vainqueurs cartellistes des élections vont retenir : si le président de la République s'érige en garant d'une politique, en cas de rejet de celle-ci par les urnes, il doit partir. Néanmoins la question se complique, en théorie, justement par les résultats des élections. Certes, la majorité de la Chambre est cartelliste, mais aux nombre de voix, autrement dit dans le pays, le choix des électeurs s'est fait en majorité pour les hommes du Bloc. Ce n'est que grâce au système électoral que le Cartel des gauches sort vainqueur de cette élection. Un dilemme pourrait se former alors pour Millerand : quel est le véritable résultat de l'élection ? Les électeurs ont-ils rejeté sa politique ? En majorité, non. Qui a gagné les élections ? Le Cartel, opposant à cette politique. Que faire alors ? Millerand va décider de conserver sa place, et de choisir un président du conseil issu de la nouvelle majorité. Mais c'était sans compter sur l'animosité des cartellistes vis-à-vis de Millerand.

Jean-Noël Jeanneney analyse ceci à l'aune de la question de confiance : « C'est bien une question de confiance que Millerand a posée au pays, acte politique, et c'est une réponse politique qui lui a été faite »107. Il faut pourtant nuancer cette analyse, qui est aussi celle des cartellistes, par le fait qu'au contraire, le pays a voté en majorité pour les candidats du Bloc, et ce n'est que par le jeu du système électoral que le Cartel sort vainqueur de la consultation des citoyens. De fait, si c'est une question de confiance que Millerand a posée, la réponse est positive pour en sa faveur. Cela explique en grande partie le peu d'intérêt que va susciter ce nouveau cas Millerand dans le pays. C'est une question politique et institutionnelle, qui n'intéressera que le milieu politique parisien, et ceux qui y ont un intérêt. Les électeurs n'en auront même pas vent, à part les lecteurs des quotidiens politiques de gauche.

Un autre événement va permettre aux cartellistes de jouer, avec encore plus de fougue, contre Millerand, c'est la position de Poincaré. Le président du Conseil en exercice, qui avait refusé de jouer son rôle de chef de la majorité sortante, obligeant Millerand à prendre position en octobre 1923, va avoir une position aussi ambigüe au lendemain des élections. En effet, contrairement à ses prédécesseurs qui restait en place et se présentaient aux nouveaux élus de la Chambre pour qu'il se prononce sur la continuité du cabinet108, et alors que le Cartel n'avait pas de majorité absolue, les Communistes et les centristes pouvant faire basculer la majorité aussi bien à gauche qu'à droite, Poincaré va annoncer dès le 13 mai qu'il va donner la démission de son cabinet. Dès lors, la prétention affichée par le journal Le Quotidien de voir partir les « présidents » va se trouver satisfaite à moitié. Le fusible de secours ayant sauté, Millerand se trouve à découvert. Raoul Persil ajoute que « si M. Poincaré [s'était présenté devant les chambres], nul doute qu'il aurait eu une majorité, et le Président de la République n'aurait pas quitté l'Elysée ».109 Mais Poincaré se retire sans combattre, soucieux de conserver une chance de retourner aux affaires après la tempête.

Le Cartel et surtout Herriot aurait pu choisir tout aussi bien de conserver Millerand à sa place, et de redonner à la présidence de la République ses contours d'avant 1920. Mais cela aurait été sans compter sur la volonté de Millerand d'agir et de porter sur les affaires, et surtout sur l'animosité dont il était victime dans les rangs de la gauche victorieuse. Herriot devait peser le pour et le contre : « On s'attendrait qu'il se demande d'abord s'il ne pourrait pas, à condition de se ménager les moyens de neutraliser désormais le Président de la République, en faire utilement un otage. Vieille hésitation : le pouvoir qui restera à Millerand, s'il en use contre les actions en cours, sera-t-il plus néfaste que ne sera utile sa caution, même involontaire, pour faire passer les réformes ? »110. La question était donc tranchée : Millerand devait partir. Comment ? La manière n'était pas encore trouvée mais elle viendra. Marcel Déat raconte qu' « une première réunion des gauches, du Sénat et de la Chambre, a lieu au palais d'Orsay, d'où Renaudel nous revient très excité : l'assemblé exige la démission de Millerand. La décision est entérinée par la « gauche démocratique », c'est-à-dire par la majorité officielle du Luxembourg ».111

Ainsi, par son parcours politique atypique, semé d'embuches avec les nombreux « cas Millerand », le Président Millerand aura pétri le terreau de sa future crise présidentielle de 1924. Il ne fallait plus que l'élément déclencheur que furent les élections législatives pour qu'éclate cette crise institutionnelle. Au regard de ces développements, il semblait inévitable que la crise ait lieu un jour ou l'autre.

1 Raoul Persil, Alexandre Millerand (1859-1943), Paris, Société d'Editions Françaises et Internationales, 1949, p. 12.

2 Raoul Persil, op. cit., p.15.

3 Raoul Persil, op. cit., p.20.

4 Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, Dalloz, 9ème édition, 2001, p. 454 à 456.

5 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p. 455.

6 Raoul Persil, op. cit., p.45.

7 Raoul Persil, op. cit., p.42.

8 Raoul Persil, op. cit., p.42

9 Raoul Persil, op. cit., p.46

10 Raoul Persil, op. cit., p.49.

11 www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=5284#mandat_assemblee_nationale

12 Ibid.

13 Jean-François Sirinelli, La France de 1914 à nos jours, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p.54.

14 Raoul Persil, op. cit., p.118.

15 Raoul Persil, op. cit., p.116.

16 Article rapporté par Gaston Jèze dans la Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger. (RDP), éditeur Chevalier-Marescq, 1920, p. 577 et 578.

17 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p. 466.

18 Jacques Chastenet, Histoire de la Troisième République, Tome 3, La République Triomphante (1893-1906), Librairie Hachette, 1955, p.249.

19 Jacques Chastenet, op.cit., p.250.

20 Raoul Persil, op. cit., p.58.

21 Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Presses Universitaires de France, 1987.

22 Raoul Persil, op. cit., p.65.

23 Raoul Persil, op. cit., p.77.

24 Raoul Persil, op. cit., p.96.

25 Raoul Persil, op. cit., p.97.

26 Raoul Persil, op. cit., p.97.

27 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.533.

28 Jean-Marie Mayeur, La Vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Editions du Seuil, Avril 1984, p.256.

29 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.533.

30 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p.256.

31 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.535.

32 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.536.

33 Jacques Chastenet, Histoire de la Troisième République, Tome 5, Les années d'illusions, 1918-1931, Librairie Hachette, 1960, p.69.

34 Jacques Chastenet, op. cit., p.70.

35 Jacques Chastenet, op. cit., p.70.

36Raoul Persil, op. cit., p.137.

37 Raoul Persil, op. cit., p.123.

38 Raoul Persil, op. cit., p.123.

39 Gaston Jèze, « Chroniques constitutionnelles », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger. (RDP), éditeur Chevalier-Marescq, 1920, p.489.

40 Ibid.

41 Article 3 et 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs.

42 Adhémar Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Tome 2, Paris, Sirey, 1928, p.65.

43 Adhémar Esmein, op. cit., p.66.

44 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.349.

45 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.354.

46 Gaston Jèze, « Chroniques constitutionnelles », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger. (RDP), éditeur Chevalier-Marescq, 1924, p.243.

47 Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel, 1923, éditions Panthéon Assas, 2007, p.547.

48 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.536.

49 Raoul Persil, op. cit., p.132.

50 Raoul Persil, op. cit., p.132.

51 Raoul Persil, op. cit., p.143.

52 « Poincaré tel que je l'ai vu », François-Poncet, Le Figaro Littéraire, 26 juin 1948.

53 « Poincaré tel que je l'ai vu », François-Poncet, art. cité.

54 Jacques Chastenet, op. cit., p.107.

55 Raoul Persil, op. cit., p.157.

56 Article 6 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.

57 Raoul Persil, op. cit., p.158.

58 Alexandre Millerand, Discours prononcé à Evreux le 14 octobre 1923, Editions Le Parlement et l'Opinion, Paris, 1923, p.2.

59 Alexandre Millerand, op. cit., p.1.

60 Alexandre Millerand, op. cit., p.2.

61 Alexandre Millerand, op. cit., p.3.

62 Alexandre Millerand, op. cit., p.4.

63 Alexandre Millerand, op. cit., p.4.

64 Alexandre Millerand, op. cit., p.6.

65 Gaston Jèze, « Chroniques constitutionnelles », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger. (RDP), éditeur Chevalier-Marescq, 1923, p.636.

66 Gaston Jèze, art. cité, p.632.

67 Gaston Jèze, art. cité, p.643.

68 Alexandre Millerand, op. cit., p.7.

69 Ibid, p.7

70 Ibid.

71 Raoul Persil, op. cit., p.123.

72 Léon Duguit, « L'élection des sénateurs », Revue politique et parlementaire, 1895, t. V, p.460 et s.

73 Raoul Persil, op. cit., p.123 et 124.

74 Article 8 de la loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs.

75 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, tome IV, L'organisation politique de la France, édition Boccard, 1924, p.551.

76 Serge Berstein, Edouard Herriot ou la République en personne, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, octobre 1985, p.92.

77 Serge Berstein, Histoire du Parti Radical, La recherche de l'âge d'or, 1919-1926, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1980, p.337.

78 Serge Berstein, op. cit., p.337.

79 Paul-Boncour, L'Ere nouvelle, 13 mars 1920.

80 Serge Berstein, Edouard Herriot ou la République en personne, op. cit., p.78.

81 Serge Berstein, op. cit., p.100.

82 Serge Berstein, op. cit., p.97.

83 Serge Berstein, op. cit., p.92.

84 Serge Berstein, op. cit., p.89.

85 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p.255.

86 Serge Berstein, op. cit., p.93.

87 Serge Berstein, op. cit., p.104.

88 Slogan du journal Le Quotidien en mai 1924.

89 Jean-Noël Jeanneney, Leçon d'histoire pour une gauche au pouvoir, La faillite du Cartel, 1924-1926, Editions du Seuil, 2ème édition, 1982, p.11.

90 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p.276.

91 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p.276.

92 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p.276.

93 Marcel Déat, Mémoires politiques, Editions Denoël, 1989, p.165.

94 Frédéric Monier, Histoire des gauches en France, Volume 2, XXème siècle : à l'épreuve de l'histoire, Editions La Découverte, Paris, 2005, p.229.

95 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p.13.

96 Marcel Déat, op. cit., p.166.

97 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p.13.

98 Jean-François Sirinelli, La France de 1914 à nos jours, Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.62.

99 Jean-Jacques Chevallier, op. cit., p.540.

100 Chiffres donnés par Jean-Marie Mayeur, op. cit., p.276.

101 Frédéric Monier, op. cit., p.229.

102 Jean Noël Jeanneney, op. cit., p.14.

103 Marcel Déat, op. cit., p.165.

104 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, tome II, La théorie générale de l'Etat, édition Boccard, 1923, p.665.

105 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p.21.

106 Ibid.

107 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p.22.

108 Raoul Persil, op. cit., p.162.

109 Ibid.

110 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p.23.

111 Marcel Déat, op. cit., p.166.

Erwan ETIENNE, erwan-etienne@laposte.net Travaux de M2 Droit Public (2011/2012)
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